Cheval fou

Pied-à-terre camarade !

Tu chevauches cet étalon fou depuis trop longtemps.

Combien de fois as-tu chuté ?

Tes os te font mal jusqu’au cerveau mais tu t’obstines,

Don Quichotte pathétique,

quand les autres marchent le pied sûr.

C’est le vent, la vitesse qui te grisent, mais as-tu oublié cette maisonnette où t’attendent femme et enfant ?

La rythmique endiablée des sabots fait battre ton cœur,

mais le calme du feu de la cheminée et les effluves de la cuisine panseraient tes plaies mieux que le galop.

Ton cœur saigne et tes yeux sont pleins de larmes,

comme tous s’écartent sur ton passage.

Tu ne sais plus où se trouve l’écurie…

Août 2004

Chien D’arrêt

« C’est sûr, demain je m’arrête ! » dis-je chaque jour,

Et cette promesse abstraite, ce morne discours,

Justifie les libations et les tristes fêtes

Qu’on fait buvant sa ration, seul, en tête-à-tête !

Je me suis pissé dessus et j’ai dégueulé,

Mon pauvre foie n’en peut plus, il est martelé

Par la somme des bitures que j’ai orchestrées,

En pleine déconfiture, hiver comme été.

« C’est sûr, demain je m’arrête ! » dis-je chaque soir,

En affrontant la tempête, à moitié hagard ;

Cet orage sous mon crâne, vagues dans mon cœur,

Tout ce spleen qui proclame l’alcoolo malheur.

J’ai vu des étoiles dans des cieux ensoleillés

Et souvent, j’ai mis les voiles pour appareiller

Vers des pays de cocagne et leur mer bleutée,

Leurs cascades de champagne et le farniente.

« Sûr, aujourd’hui je m’arrête.» ai-je dit ce matin.

Car s’il me faut être honnête, les voyages lointains

S’arrêtent au bar de la gare, où je vois des trains

Défiler sous mon regard mur de parpaings.

Et puis il y a mon fils, mon petit- bonhomme,

Qui grandit sous les auspices d’un père qui s’assomme ;

Et cette femme aux yeux tristes, qui n’a plus d’amant,

Mais un clown qui entre en piste plein de ronflements.

« Sûr, aujourd’hui je m’arrête. » ai-je dit ce matin.

Août 2005

Métisrage

Je suis noir, je suis blanc, je suis d’un peu partout.

Plein d’espoir, à pas lents, j’aménage mon trou ;

Car la rage qui me tient, je dois la déposer

Dans un refuge certain, pour mieux me reposer.

J’ai grandi insouciant parmi les autochtones

Et fut soudain conscient que l’œil du cyclone

Attirait les métèques, les déviants, les paumés,

Et qu’à contre-courant… il faut toujours ramer.

Aussi je me plongeais fréquemment dans les livres,

Car entre chaque ligne pousse une raison de vivre,

L’aventure de la vie et ses mille couleurs,

De l’odeur des égouts aux doux parfums des fleurs.

Les héros courageux, les perdants magnifiques,

S’invitaient dans ma chambre en un flux anarchique.

M’accompagnant la nuit, veillant sur mon sommeil,

Ils m’assistaient sans bruit dès l’instant du réveil,

Pour me rendre à l’école les yeux emplis d’étoiles

Tandis qu’à mon pupitre, je déployais les voiles.

Vint le temps du collège puis celui du lycée

Et, loin de mon bon maître, la chronique annoncée

De ma dégringolade, chute vertigineuse,

Emaillée d’escapades dans l’euphorie brumeuse.

Si l’Amour seul importe, moi j’avais peur des filles !…

Car ces êtres transportent la substance fragile

Des âmes torturées vers des pays lointains,

Dont les cieux azurés s’effacent un matin :

Lors se lève la tempête, les pleurs et le chagrin.

Au mitan de ma vie, aujourd’hui, j’ai trouvé

L’aimable compagnie, je suis rasséréné,

D’une femme rieuse mais qui parfois sanglote,

Quand de façon hideuse je dévide ma pelote.

Alors plein de regrets, je la prends dans mes bras,

Et tout énamouré, dis des mots doux tout bas.

Juillet 2005

L’orage-cœur

Ce qui importe n’est pas de boire, mais de mourir…

Et seule la chorégraphie des bars peut offrir

L’idée de ce vague-à-l’âme, cassant les plus forts,

Qui pour faire taire ce vacarme boivent et boivent encore.

Car le bruit qui les obsède, les tord et les mord,

Leur impose un intermède, un silence retors ;

Et tels des étoiles filantes, ils brûlent leur vie

Avec une ardeur constante émaillée d’ennui.

Bien sûr l’humanité va vers on ne sait quoi,

Aussi vont-ils hébétés tout en restant cois.

Ils ne sont pas méchants, ils ne sont pas gentils,

Habités par le chant des chantres de l’oubli,

Ils ont un répertoire qu’ils débitent au comptoir,

Variations de mémoire pour audience transitoire.

« C’est ma tournée patron ! » est la seule ritournelle

Qu’ils entament en canon, avec des étincelles

Dans leurs yeux chavirés, pleins d’amour et de haine,

Leurs corps agglomérés et soudés par la peine.

Ils ne savent ce qu’ils cherchent et cherchent d’autant plu,s

Que la vie est revêche et qu’ils se sentent nus.

Alors tels des mineurs, ils piochent ! dans leur verre ;

Avec le zèle de mioches, ils espèrent leur envers

Leur endroit, leur jumeau, quelqu’un qui en tous cas

Fasse l’univers plus beau et cesser le fracas.

juillet 2005

Foultranger

La foule. Seul au milieu. Nous sommes tous étrangers.

Tous nous sommes lépreux, cherchant comment engager

Un toucher, un contact, une conversation,

Et comment faire un pacte, la suprême contorsion

Nous amenant à rire ensemble ou à pleurer ;

Ce ne serait pas pire que nos gueules déterrées,

Qui poussent des soupirs, avides d’épurer

Leurs âmes privées d’ouïr friandes d’amitié.

La foule. Seul au milieu. Nous sommes tous étrangers.

Cachant nos yeux baveux, on voudrait s’immerger

Dans un regard profond et pouvoir y nager

En flottant vagabond sans jamais s’y noyer.

Ici, c’est marche ou crève ; ça laisse au moins un choix :

Abandonner ses rêves, ou marcher tel un roi

Vers le sanglant bourreau et sa hache tranchante,

Et bien loin des bureaux, sentir que la vie chante.

La foule. Seul au milieu. Nous sommes tous étrangers.

juillet 2005

Adoliquescence

Les tunnels du métro sont un havre de paix,

Où je traînais ado un désespoir épais

comme le brouillard subtil emplissant mon cerveau,

Enivré de pétards, seul dans le caniveau.

Je pouvais rester là des heures et rencontrer

Des clodos, des pochards, naufrageurs patentés,

Qui assassinent l’espoir, parlant de liberté,

Déambulant hagards leurs yeux rouges embués.

Les gens passaient pressés, courant vers quelque tâche,

Tandis que défoncé, je jouais à l’apache.

J’en avais l’apparence, j’en rajoutais un peu,

Mais triste dans ma transe, je suintais sauve-qui-peut.

J’étais fou amoureux d’une fille perverse,

Qui jamais pour mes yeux ne dénoua sa tresse.

Je ne la touchais pas, j’étais comme en prière,

Et plein de désarroi, je me sentais amer.

Le soir, je regagnais ma chambre cagibi,

Eveillé je rêvais en m’astiquant le vit ;

Shit et revues pornos, allongé sur le lit,

Tourne tourne chrono, je m’étais assoupi.

Ma seule nourriture était les hamburgers,

C’était une aventure que leur triste fadeur

S’accordant à merveille à mon désœuvrement,

Qu’il fallait que je paye, pauvre prince charmant.

Je regardais les femmes, qui étaient O.V.N.I.S,

Et quand brûlait la flamme, j’étais bien démuni .

Donc j’allais me cacher dans le tunnel refuge,

Où je pouvais frimer, ivre de subterfuges.

La vie passait ainsi, je prenais toutes les drogues,

Et m’en allais rassis forger mon décalogue.

Pas de filles, pas d’amis, rien qui puisse gêner,

La pâle symphonie que chaque jour je jouais.

Un voyage

Une bouteille, un verre, des clopes des allumettes ;

Je veille, amer, écope le spleen trouble-fête,

Forçat volontaire, mon boulet tel une médaille,

Salsa meurtrière, roitelet épouvantail.

Mais j’ai vu des cieux bleus et compté les étoiles !

Alors j’ai bu joyeux croyant mettre les voiles ;

Cette arithmétique impossible m’a cramé,

Et j’ai coulé à-pic, sensible et désarmé,

Devant une cohorte de monstres et de fantômes,

Chahutant à ma porte accompagnés de gnomes.

La sarabande durait le jour comme la nuit,

Je savais les légendes et leur odeur de suie,

Mon cerveau était cendre et mes yeux embués

Des mille bravos à prendre pour bien contribuer

A faire tourner la Terre, aligner les Soleils,

Et nourrir l’Univers de mes précieux conseils.

Tous parlaient de moi, la télé, les journaux.

On murmurait tout bas, regardant le tonneau

Où ivre de délire et sans lanterne aucune,

J’éclatais de mon rire en berne sous la Lune.

Donc j’ai vu des experts et des psycho-docteurs,

Mais mon seul repère était Babar en pleurs.

J’attendais la Vieille Dame et je l’attends toujours,

Pour m’aider de sa flamme et de tout son amour

Pour les éléphanteaux qui prennent du L.S.D,

Et enfilent un manteau de prince halluciné.

Une bouteille, un verre, des clopes, des allumettes ;

En éveil, je tolère cyclopes et sornettes

Car parfois malheureux on explose sa tête,

Pour atteindre les cieux, apothéose abjecte.

Juillet 2005

Vol d’ennui

Tel Icare prenant son vol loin du labyrinthe,

Sevré de frais de l’alcool, fort d’être hors d’atteinte,

Je fredonnais je frimais, fier dans les frimas,

Sûr de ne changer jamais de panorama.

Mais les jours toujours sont pareils, file le temps,

Susurrant à mon oreille l’ivresse d’antan.

Les mille bouteilles Soleil qui réchauffent le sang

Et vous emmènent à tire-d’aile dans un ciel bruissant

Du chant de ces oiseaux rares, mentant à plaisir,

En sifflant un air barbare symphonie du pire.

Mes ailes se sont décollées et j’ai vu le gouffre,

Son paysage éculé, son odeur de soufre

Emplissant mes narines, je me croyais Orphée,

Quand c’était la bibine ma jeune mariée.

J’eus beau me retourner, Elle ne me quittait pas,

Promettant des journées de picole en appât,

Pour pouvoir me lier serré dans les ténèbres

Et mieux m’éviscérer dans un manège funèbre.

« Tu te voulais héros mais j’offrirai tes tripes

Et ta cervelle aux crocs de Cerbère qui agrippe,

L’âme des alcoolos et les os des paumés.

Pour en faire un château de cartes inanimé. »

C’est ainsi que parlait ma fiancée de l’Ombre,

Tandis que j’implorais les divinités sombres,

Pour avoir un sursis, un peu de souffle encore,

Et dans mes rêveries, échapper à la Mort.

Juillet 2005

La Dégueulante

Ca dégueule à tout va et ça pue, croyez-moi.

Le rhum, la mousse, le pastaga, ceux qui font rois

De pauvres types comme vous et moi, tenant leur verre,

N’étant plus aux abois et cherchant la lumière.

Celle qui fait oublier, celle qui donne pardon,

A tous ceux enterrés dont on ignore le nom.

Alors de temps en temps, on paye une tournée

A des fantômes hantant le comptoir encombré.

« Te souviens-tu de…et du jour où il a

Dans son chemin bourbeux semé la bamboula ?

Untel et puis les autres, ils sont tous des nôtres,

Sont tous pareils à des apôtres : et à la vôtre ! »

La Mort qui rode ici est comme au paradis.

Elle sait se faire jolie et gagner le pari

De collecter des âmes qui se voulaient rebelles,

Mais qui pour cette Dame ne sont que des poubelles.

Alors Elle cueille et ramasse son dû, la nuit.

Et aucune grimace ne peut donner sursis.

L’alcoolodépendance est une belle saloperie !

Un jour cesse la danse et on est tout surpris ?!?

Il n’est plus temps de geindre ni même de pleurer,

Comme si seul se plaindre pouvait tout effacer.

La facture est salée, comme les cacahuètes

Que l’on mange affalé en faisant des pirouettes

D’humour d’adolescent, pas encore déniaisé,

Se pourrissant le sang dans un concours biaisé.

Combien de temps encore ? le manège de la Mort

Ne te laisse pas le mors aux dents et ton trésor,

Que tu empiles tranquille dans tes verres presqu’îles,

Te fera roi Midas, ta carcasse immobile.

Août 2005

Envie de toi

Je te boufferai crue. Lors tes os et tes dents

Seront collier écru sur mon cœur palpitant

De cette rage de perdant, collectionneur d’échecs,

Comme tu t’en vas valsant les pieds toujours au sec.

Les fruits de ton travail, tu les portes à ma bouche

Mais moi vaille que vaille, je reste sur la touche,

Baignant dans la sueur de la haine insidieuse

Qui nourrit ma rancœur et te rend malheureuse.

Ainsi donc, je vomis les fraises et les framboises,

Et tel un ennemi, j’inscris sur ton ardoise

Les factures du passé et celles à venir ;

Tel un lion blessé, je te promets le pire.

Il m’est insupportable de te voir réussir,

Si tu te montres affable, je me fais triste sire ;

Je boude et m’apitoie sur ma situation,

Car j’habite chez toi avec ma dépression.

Je te boufferai crue. lors tes os et tes dents

Seront totems intrus dans mon cœur trépidant

De ces amours diffuses que tu m’offres en partage,

Et je dirai sans ruse que j’en veux davantage !

juillet 2005

Cœur poussiéreux

Je t’ai laissé un champ de ruines pour horizon.

La bibine bruissant en bruine sur ta maison,

Des bouquets de canettes vides pour t’accueillir,

Des palettes d’assiettes sales pour ton martyr.

Tes larmes coulaient et tu m’as dit : « mon amour,

J’érigerai palais et temple de velours

Où envie et ego resteront à la porte,

Et où tous deux égaux, nous ferons de telle sorte

Que nos élans puissants coulent vers la rivière

Où se baigne l’enfant qui est notre lumière. »

Entendant ces mots, joyeux, les yeux humides

Car ce marmot et toi êtes ma chrysalide,

Je te pris dans mes bras, me chauffant à la brise

Qui souffle sur nos draps et qui me dépayse.

Car je crois bien aussi qu’il est temps de cueillir

La douceur si jolie des printemps à venir.

Et si le quotidien est source d’avenir,

Je m’en ferai gardien, ne plus te voir souffrir

Par ma faute, m’amusant à compter les étoiles,

Tandis que leur poussière s’accumule tel un voile

Sur nos malentendus comme sur un sarcophage,

Ou nos amours perdues n’auront plus d’équipage.

Sept 2005

Lettre à H.

Tu coules à pic ? Tu ne nages plus, buveur obtus ;

C’est la panique, mais tu t’obstines, la messe est bue.

Et en cinémascope, tu sanglotes et te plains,

Ton gyroscope à l’heure des bières soir et matin.

Ton corps part en morceaux, par le bas par le haut,

Et tout va crescendo : un verre et puis dodo.

Ton talent ?!? Tu l’enterres, friand de libations

Qui te laissent solitaire, fier de ta déraison.

Mais tu geins et tu pleures, tu cherches l’âme sœur

Qui nettoierait ton cœur et ta tête en douceur.

Ce n’est pas jeux d’enfant que l’alcoolomanie …

Plus l’appétit est grand, plus la facture grandit.

La Faucheuse prend son dû, mais jamais à crédit ;

Quand tu seras perdu, elle encaissera ta vie.

Et un adolescent, quelque part en banlieue,

Se mangera les dents, orphelin malchanceux.

Juillet 2005

Le Manège Déchanté

J’ai vu ses deux yeux sombres et senti son haleine

Putride, dans la pénombre, là où dansent les hyènes,

Farandole d’accueil du futur macchabée

S’échouant sur les écueils en restant bouche bée.

Le choc fut terrible et ma coque se brisa,

Me laissant, c’est horrible, naufragé ici-bas,

Soudainement conscient que la Vie est fugace,

Mais que plaisir à bon escient vous rend pugnace.

Le secret était là, dans la modération,

Pour ce qui est de moi, j’avais eu ma ration.

Drapeau blanc à la main, j’attendis les secours,

Espérant sur la Terre faire encore quelques tours.

Août 2005

Psychodorama

Je connais un palais qui sent la vieille pisse.

Hanté par des laquais au regard trop lisse ;

Ils servent la folie comme on sert une reine

Qui sonne l’hallali, sans ménager sa peine.

Ils n’ont que tabac froid et respirent le café

Pour couper aux émois qui les tiennent éveillés,

La nuit, le jour toujours, panachent leur odorat

De ces hurlements sourds que leur cerveau aboie.

Comme des chiens mouillés, ils se cherchent un maître

Un de ces initiés dominant le paraître.

S’ils ne sont que fumier, c’est pour nourrir les roses

Que l’épreuve a semées sous leurs paupières closes.

Ça sent la merde aussi, que l’un d’entre eux dépose,

Combattant l’inertie avec la seule prose

Qu’il eût en héritage ou peut-être en viager,

Et propose en partage son extrait de verger.

L’amour est là aussi, avec sa robe de bal,

Chantant ses vieilles scies, chantant « t’as pas cent balles ? »

Et dans des bras trop grands, exhalant la sueur,

Ils se font conquérants, exorcisant la peur.

On en croise quelquefois cultivant leur jardin,

La nuque rase penchée sur des yeux mal éteints,

Car la gastronomie, squelette de l’endroit,

Suppose une alchimie excellant dans son droit

De produire chaque jour des légumes plus frais,

Fleurant bon l’apathie et non les cris d’orfraie.

Une cour hiérarchisée que s’en est à se tordre,

Classe des alizés, veille à tout mettre en ordre,

Ici un potager, là-bas quelques cactus,

Avec le nez gorgé de coït-interruptus.

Parfois un pensionnaire avide de respirer

Le parfum du grand-air, odeur de liberté,

Disparaît un matin en semant la discorde

Car d’aucuns sont certains que c’est au bout d’une corde.

« Le fuyard est parti en Vallée des Merveilles »

Déclare un apprenti qui rougit et bégaye,

« Il s’épanche désormais auprès des perce-neiges

Et nul bouquet jamais ne fit un tel cortège

Pour guider notre ami aux sources du torrent,

Où il se rafraîchit en disant : « C’est marrant,

Je croyais être fol et je suis jardinier,

J’ai dormi dans la boue, j’étais excommunié,

Céans je batifole en haut de la montagne,

Je flaire le vent-debout sur un mât de Cocagne ! »

Mai 2005

Chemins de traverses

Dans la vallée des merveilles, loin de la cité,

Je suis devenu soleil, orage printanier.

Je buvais à l’arc-en-ciel, n’étais pas dernier

A voir le visage miel de ma Mie, beauté

Sculptée dans chaque nuage, dans chaque rocher.

Elle me donne tout en partage et plus même encore

Quand la nuit nous laisse en nage, que nos corps à corps

Tissent sur le lit un voilage, pour aller pêcher

Au cœur du silence grave des sentiments doux ;

Ils nous laissent sans entraves, pleins de liberté,

Loin de la haine, de la bave, des aspérités

Et nous traversons le gave, dansant comme des fous.

Dans la vallée des merveilles, j’ai trouvé de l’or ;

Le filon est sans pareil, sonnent midi minuit,

Entre mes moments de veille et ceux de la nuit,

Quand j’entends chanter la vielle de ma vie trésor.

Je l’ai laissée trop longtemps, tapie dans un coin,

S’étioler apparemment, mais couvait le feu

De mon vrai tempérament, éclairant mes yeux

Et la braise en rougeoyant m’a mis dans le bain.

Lors j’ai vu dans la nature le temps qui passait,

La magie des clairs-obscurs qui amenuisaient

La morsure de mes blessures comme mon chagrin,

Et orfèvre l’air pur, qui semait le bon grain.

Dans la vallée des merveilles, la voûte étoilée

Éclaire le monde et veille à toujours nous guider.

Elle est jeune, elle est vieille, je voudrais la garder,

En cueillir une corbeille et puis tout dévoiler

A mon fils, Idéal, suprême privilège,

Qu’il ne soit pas féal d’un produit, d’une thèse,

Qu’il sache qu’il est un val où les brûlures s’apaisent,

Une promesse vitale est puissant sortilège.

Je reviendrai peut-être, ou bien j’irai ailleurs,

Où sans dieu et sans maître je sentirai l’accord,

Le mépris du paraître, l’absence de record,

Et comme une fenêtre s’ouvrant sur le bonheur.

Mai 2005

Saoul-Bois

J’ai chu, fruit mûr, ivre de ma fermentation,

Dans l’alambic obscur d’un Bacchus trublion,

Qui promet des voyages au travers de parfums

Merveilleux et vous laisse étrillé au matin.

Secoué par mes rots, reniflant la vinasse,

Ni triste ni joyeux je chaussais mes godasses,

Entouré de fantômes tout palpitants encore,

Des arômes d’eau de vie, de tout ce que la flore

Bien distillée promet de rire, d’anesthésie.

Je partis sur les routes, sans joie, sans alibi,

Et faisais une étape dans tous les bars de nuit

Qui exhalent le mélange étrange du mêlècasse,

Du tabac, des rires d’anges que l’on cherche à la trace.

J’allais m’échouer hagard sur un lit de granit,

Mieux qu’un cœur solitaire, il tourne et il crépite,

Promesse de verres de bière et de shit en pépites,

Dont l’âcre fumée sent le Paradis en kit.

Stupide et acharné, je parcourais les champs

Des fleurs empoisonnées de l’alcoolomanie,

Certain de trouver là mille oiseaux chantants,

L’odeur de mon enfant, le bouquet de ma Mie.

Lors je vis les vautours sur ma tête planant,

Et dans leur cercle lourd sentis mes yeux suintant,

Le pus, la pourriture, tapissant les parois

Du pulvérisateur où l’éthanol nous broie.

Je criais : « Au secours ! Au meurtre ! A l’assassin ! »

On me dit : « Ton destin se trouve entre tes mains.

Abandonne le fumier, quitte le bain de purin,

Redescends du piton où transi tu te pâmes.

Cherche au fond de ton cœur la rose qui enflamme

L’étincelle de rosée qui mouille ton jardin.

Regarde émerveillé le beau feu d’artifice,

Tu n’es pas obligé de boire le calice ;

Saoule-toi de muguet, de lilas, de jasmin,

Tes quarante printemps t’offrent un nouveau chemin. »

Et comme délivré d’un puissant sortilège,

J’ouvris mes yeux sanglants sur le triste manège,

Trébuchant et tremblant je courus vers la Vie

Et acceptais enfin d’être un peu mon ami.

Mars 2005

Poèmapapa

Ton désaveu m’a entraîné

Dans la bourrasque et les tourments

J’étais pourtant ton premier né

Enfant je te voyais géant

Tu es parti comme un voleur

Sans même prendre la clef des champs

Mais plutôt celle de mon bonheur

Je suis devenu mort-vivant

Bien sûr il y avait ma mère

Mère courage mère bonté

Qui me voyait las solitaire

A l’affût de la volupté

Ici trop noir là-bas trop blanc

Je n’ai pu devenir que gris

Gris comme sont les éléphants

Que l’on traque dans ton pays

Le temps passe pour tout le monde

Le mien passait à t’attendre

Je n’ai eu que l’amour immonde

D’un père hypocrite et absent

Tu chantais le travail l’école

Et n’envoyais jamais d’argent

Tes lettres appartiennent à Eole

Notre histoire n’était que néant

Cette escroquerie m’a rendu fol

Et j’ai foncé sur le chemin

De la défonce et de l’alcool

Espérant trouver là la main

Celle qui guide caresse et console

Prépare de joyeux lendemains

Sans carte ni sextant ni boussole

Ma tête a cramé un matin

J’étais Jésus dans une poubelle

Je lisais Babar à vingt ans

C’est la période de la vie belle

Pour moi délire médicaments

Tu as fait mon sort plus cruel

Tu n’as pas fait le déplacement

Tes prières flotteront longtemps

Au milieu de mes excréments

Alors j’ai rencontré des hommes

Des Etres Humains avec un cœur

Qui ont encouragé mes pleurs

Pour porter mon fardeau en somme

Leur sentier est parfois abrupt

Et les cailloux roulent sous mes pieds

Ils pleuvent de ton cœur de brute

C’est ce que tu m’auras laissé

Aujourd’hui voilà que j’ai quarante ans

Une compagne belle comme le levant

Nous avons fait un bel enfant

Dont l’amour fait bouillir mon sang

Il se nomme entre autres Atoutou

J’ai respecté la tradition

Il est un peu nègre après tout

Même si son grand-père n’est qu’un fion.

dec. 2004

Blanc Irisé

Quotidiennement, fidèle, il fait l’ouverture

Et toujours nickel, tremblant, il prend sa posture :

Se saisit du verre de blanc, y trempe ses lèvres,

Sa canne posée sur un banc, commence la trêve.

On l’appelle Pépé, nul ne sait son nom ;

Il a vu passer les ans, toutes les guerres typhons.

Pourtant, il n’est pas amer, n’a plus d’illusions,

Ne dit pas le Notre-Père, rêve d’évasion.

Alors il fait un tiercé, un peu au hasard…

Que ferait-il de ce blé, de tous ces milliards ?

Ses enfants ont déserté – c’est souvent le cas –

La femme qu’il a enterrée ne se remplace pas.

Sa place est à ses côtés, mais rien n’est pressé ;

Les verres de blanc réguliers l’aident à supporter

La vieillesse, la solitude et toutes ces années

A rechercher l’hébétude au bar du quartier,

Où un beau jour un jeune fou viendra aboyer :

« Où est donc le vieillard, où est donc Pépé ? ! »

Août 2005

Le goût le plus fort

Les embruns gris du temps s’évaporent lentement

Et le cortège tremblant de tes amours d’antan

Défile sous tes paupières closes, comme la prison,

De ta maison de pierre où couvent les tisons

De cette passion tranquille, extrait de quotidien,

Quand jamais volubiles, tu étais méridien,

Pour cet homme embaumant le café et le pain,

Fruits gagnés en suant un travail lointain.

Ton bouquet de mariée serré dans un tiroir

Ne fleure plus la rosée mais nourrit ta mémoire ;

Sous la poussière cascadent les fragrances bigarrées

Qu’au soir tu escalades, toujours énamourée.

Le matin au jardin, tu arroses les fleurs

Que cet amant serein a plantées dans ton cœur,

Et devant ces bouquets, si parfois tu défailles,

C’est qu’un triste banquet annonce la fin du bail.

Tu ne cuisines plus de ces mets succulents

Dont le fumet diffus me hante, ensorcelant

Toutes les réminiscences que j’ai de mon enfance,

Quand manger était science, danse de plaisirs intenses,

Les enfants sont partis et le vieux chien est mort,

Te laissant aplatie avec quelques remords,

Reniflant- c’est étrange- la culpabilité,

D’avoir été un ange pour finir alitée.

Les nouvelles des amis sont de mauvais augures,

La vieillesse ennemie tire vers la pourriture,

Ils partent en volutes, dans les vapeurs d’encens

Suave comme une pute, la Mort est là valsant.

« Cette charcuterie divine n’est que térébenthine »

Déclares-tu cabotine en suivant ta routine.

Ainsi tu laisses les plaines éternelles et leur suc,

Anathème sur l’autel d’un paradis en stuc.

Je pense à toi souvent et l’arôme de ta voix

Câline, grondeuse, levant de mes journées, pourvoit

A me maintenir digne, dans la peine les tracas,

Comme un herbier qui signe un tableau délicat.

Je n’oublie pas non plus un Monsieur si patient,

Qu’il était notre élu car toujours amnistiant

Nos peccadilles de gosses s’en allant bourgeonnant,

Semant les plaies les bosses dans l’air du Printemps.

Mai 2005

Banlieue-Rame-A

Avide, le métro fauche sa ration d’employés ;

Comme sonne la débauche, nul ne peut enrayer

L’odoriférant flux qui s’échappe des wagons,

Quand le bon peuple afflue en se montrant bougon.

On y trouve pêle-mêle tous les déodorants

Transmués en un sel au bouquet délirant,

Et des vapeurs intimes qui s’enfuient en chantant

Comme la victoire ultime d’un facétieux Satan.

Il y a là aussi des relents de sueur,

Que des corps rassis secrètent en connaisseurs

Des fragrances sauvages que traîne l’humanité,

Dans un flacon hors d’âge curriculum vitae.

La lassitude est peinte empreinte sur les visages,

Les odorantes feintes n’abusent personne, nuage

D’opium, de lilas, de musc ou de muguet,

S’envolant par-dessus les corsages, en sagaies.

Parfois quelque clodo suintant la solitude,

Soumet in-extenso son fumet d’hébétude

En guise d’apéro interdit au mineurs

A de tristes badauds savourant leur frayeur.

Ici, deux amoureux s’évaporent à l’instant

D’un baiser langoureux qui les laisse palpitants,

Tout ruisselant d’amour, entourés des volutes

Nés de leurs souffles courts que le désir chahute.

Là-bas, une puritaine s’en va pinçant le nez,

Tenant dans ses mitaines un missel malmené,

Par ses consultations de vieille fille éplorée,

Ressassant l’oraison d’une jeunesse timorée.

C’est ainsi tous les jours et chaque mois qui passe

Recueille dans le velours des banquettes et leur crasse,

Un baume d’êtres humains s’affinant chaque saison

En joyeux lendemains promesses de floraisons.

Juin 2005

Poèmapapa (suite)

J’ai brisé la statue que je t’avais dressée,

Petit enfant têtu ne pouvant te laisser

partir, me laissant sous l’œil de la vieille dame,

Confiné aux bons soins de celle qui fut ta femme.

Parfois une carte postale, un colis, une lettre,

restauraient ma fringale et pansaient mon mal-être.

Mais que dire aux pourceaux qui me disaient sans père

me poussant à explorer les gouffres amers ?

Chacun doit se servir et aujourd’hui mon fils

voudrait pour avenir un père sans artifices,

Sans bulles et sans fumée, des épaules solides,

Pour pouvoir s’amarrer et jouer tel un bolide,

aux mille tâches des enfants et faire la bagarre.

Pour entendre ce chant, je ne peux être hagard.

Aujourd’hui je comprends que tu as dû souffrir,

Mais si passe le temps, il en reste à venir.

Je serais hors d’usage si mon petit garçon

me crachait au visage en me traitant de fion.

Juillet 2006

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