Dépress

MB78 Dans les ruelles sombres de mon esprit confus, La Dépression danse. Telle une ombre sournoise, elle étreint mon âme,Et tisse des liens sournois qui me plongent dans une abîme de tristesse Sans émoi.Ses bras froids m'enveloppent et m'emprisonnent sans pitié,...

Poison

…tout cet amour est devenu insupportable,

La panne

Je joue avec les mots comme les enfants avec les lego

Se détester ?

…Encore qu’il puisse s’agir simplement d’une mélancolie insupportable sur l’absurdité de la vie qui pousse à y mettre fin.

Une porte vers l’infini

Pendant que Mélodie bouge, la terre tourne, et le monde s’ennuie.

La musique de la peau

Je m’enivrais gourmand de la liqueur divine…

Qui sommes-nous ? Le mot qui manque

Dr Pierre SIDON, médecin psychiatre, directeur du CSAPA Meltem UDSM, le 6.2.19

La question est un passage obligé pour tout site internet. La réponse peut aussi être classique : on vend quelque chose, on représente une idée, un groupe, ou soi-même sur un blog perso… Il nous a fallu ici plusieurs mois pour avancer sur ce terrain. Non pas que nous ne travaillions pas mais le temps n’était pas encore venu d’expliquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons, ainsi que le nom du site.

Le temps est venu, lorsqu’au détour d’une nouvelle séance de notre atelier d’expression, nous est apparu qu’un mot manquait dans la langue française. Le comble pour un atelier expression ! Et en effet, à chaque séance depuis la première, en juillet 2018, une kyrielle de mots apparaissent au cours de nos discussions à bâtons rompus, mots que nous mettons au travail de nous provoquer à parler, à écrire, à produire toute forme d’expression, fut-elle visuelle et non langagière. Je n’en reviens encore pas mais il me semble bien que nous avons mis le doigt sur le mot qui manquait à la langue française… Si ce n’est à d’autres langues, ce qu’il faudra vérifier.

Ce mot qui manque, ce serait un mot pour dire la haine, la détestation, le dégoût de soi. Il y a bien des mots pour dire le contraire de tout cela mais pas le ou les mots pour décrire, sans phrase ou périphrase, cette réalité qui pourtant existe bien. Elle existe mais il semble bien qu’elle n’a pas de représentation dans l’être, c’est-à-dire dans ce qui s’exprime de l’existence à-travers la langue dans la parole. Pourquoi ? Est-ce parce que son existence puissante n’accepte pas la perte inhérente à cette représentation dans la langue ? Bien sûr on peut en parler, et c’est tout le travail des pratiques de parole issues de la psychanalyse. Mais se faire représenter par un mot unique, un concept fort et connu, ça, cette passion là, elle semble ne pas pouvoir y condescendre.

Mais c’est peut-être bien plus encore parce qu’il s’agit d’un trou noir dont la raison d’être est l’absence même de tout mot, l’absence d’aucun nom, jamais présent pour accueillir, représenter et humaniser tel sujet dans sa venue  au monde.

Ce mot qui manque, est alors probablement celui évoqué par Marguerite Duras au moment où Lol V. Stein défaille dans la scène du bal qui voit son fiancé partir avec une autre : « Ç’aurait été un mot-absence, un mot-trou, creusé en son centre d’un trou… »  (1) Pour décrire un tel sujet orphelin de la langue, Duras n’aura d’autre image que celle-ci : « Je ne peux montrer Lol V. Stein que cachée, comme le chien mort sur la plage. » (2) Ce chien dont elle évoque le « cri » dans Ecrire – on notera l’assonnance : « l’écrit, c’est les cris des bêtes de la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. » (3)

Et c’est précisément le problème auquel se confronte notre pratique, et que notre atelier adresse. Ce site veut en être le reflet et il constitue la surface, virtuelle mais aux effets néanmoins réels, d’inscription de notre travail. Il s’agit d’un travail qui consiste en effet à verser la puissance destructrice de cette passion dressée contre soi dans la langue de chacun et de mettre celle-ci en circulation dans le monde.  C’est ce que le psychanalyste Jacques Lacan a nommé l’escabeau à la suite du travail effectué sur l’œuvre de Joyce, escabeau sur lequel grimper de quelques marches afin de faire de son symptôme œuvre d’art. Et puis il en a concassé le signifiant en S.K. beau afin d’en détacher le beau – absent de l’art moderne – et de défaire la signification du mot. Car c’est ce travail de destruction de la signification que Joyce a employé et qui nous inspire dans notre travail contre la haine de soi. L’œuvre d’art, c’est alors le résultat de la transmutation de cette détestation en objet mis en circulation dans le monde et qui élève le déchet au rang du beau, processus bien imagé, par exemple, par l’œuvre de Duchamp, inaugurale dit-on, de l’art moderne. Mais aussi par le peintre JonOne dont le tableau Mont Blanc (2018) illustre cette page, JonOne né John Perello à Harlem en 1963, qui a signé du blase Junk (déchet !) puis Junkills, Bloodthirsty, Jofa puis Jon156 – du numéro de son block – puis enfin One, JonOne, aujourd’hui mondialement connu et qui peut dire à l’occasion qu’il aurait pu être aussi SDF. Son art du graffiti urbain passé dans les galeries se fonde en partie sur l’écriture de son nom, souvent répété en motifs et accolé à « rocks » : JonOne rocks, abrévié enfin en JONONeR qui fait le motif en surimpression ici de blanc sur le fond apparemment désorganisé des couleurs entremêlées comme un magma indifférencié. C’est cette explosion de la gamme des couleurs qu’il jouissait de voir surgir au petit matin sur les métros qu’il avait bariolés la nuit et à laquelle il rêve d’ « ajouter une couleur qui n’existe pas ». C’est ce nom qui, ici, non seulement fait l’œuvre, mais aussi l’artiste.

JonOne

Et « under all the beautiful chaos is my name… » écrit aussi l’artiste en 2019 (sur Instagram le 8 mai 2019).

Est-ce l’œuvre qui fait l’artiste ou bien l’artiste qui fait l’œuvre ? On pourrait opter pour la deuxième hypothèse avec le célèbre et énigmatique street artist John Hamon qui affirme : « C’est la promotion qui fait l’artiste ou le degré zéro de l’art » et dire qu’elle résume l’art moderne.

Mais à y réfléchir, concernant d’autres concepts que cette haine de soi, s’il semble bien y avoir des mots pour beaucoup d’autres choses, sont-ils en réalité adéquats à ce qu’ils indexent ? Jamais en fait : ils ne peuvent faire que semblant. Alors il faut parler longtemps pour dire quelque chose qui fasse poids. Et c’est là le sens de notre travail.

Faire de chacun, à sa mesure, sinon une œuvre d’art, du-moins un sujet ; élever chaque destin à la dignité de l’humanité, voilà notre noble  tâche, au-moins pour ceux qui ont fait le choix de nous faire confiance dans notre CSAPA (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) Meltem à Champigny-sur-Marne. Le CSAPA est géré par l’association UDSM – Union pour la Défense de la Santé Mentale.

Escabeau.online, depuis Août 2018

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  1. Duras M., Le ravissement de Lol V. Stein, Folio Gallimard, 1964, p. 48.
  2. Duras M. , entretien avec Catherine Francblin, Art Press International, janvier 1979.
  3. Duras M. Écrire, Gallimard, 1995.
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